LARECONNAISSANCE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES : LE CAS DES AÏNU DU JAPON

LARECONNAISSANCE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES : LE CAS DES AÏNU DU JAPON

30 de setembro de 2024 Off Por Cognitio Juris

RECOGNIZING THE RIGHTS OF INDIGENOUS PEOPLES: THE CASE OF THE AÏNU OF JAPAN

DO RECONHECIMENTO DOS DIREITOS DOS POVOS INDÍGENAS: O CASO DOS AÏNU DO JAPÃO

Artigo submetido em 11 de setembro de 2024
Artigo aprovado em 18 de setembro de 2024
Artigo publicado em 30 de setembro de 2024

Cognitio Juris
Volume 14 – Número 56 – Setembro de 2024
ISSN 2236-3009
Autor(es):
Germana Aguiar Ribeiro do Nascimento[1]
Marília Aguiar Ribeiro do Nascimento[2]
Muriel Ninel[3]

Résumé : Les peuples autochtones ont vécu et continuent à vivre de nos jours dans des conditions difficiles, se trouvant confrontés, notamment, à la pauvreté, au chômage, et surtout, au non respect de leurs droits de l’homme. L’Asie est le continent le plus peuplé du monde, et, à l’instar de l’Afrique, sa population y est extrêmement diverse. Cependant, ces pays sont très réticents à reconnaître et à protéger leurs peuples autochtones. Bien que certaines constitutions dites démocratiques garantissent la protection des droits de l’homme, la réalité montre que la situation peut encore beaucoup évoluer, car nombre de ces droits sont encore négligés. C’est le cas au Japon. Le peuple autochtone Aïnu représente une minorité de la population japonaise et vit actuellement à Hokkaido. Il est ainsi intéressant d’analyser la mesure dans laquelle les droits des peuples autochtones sont garantis dans le système japonais, et en particulier la situation des Aïnu. Il s’agit d’une étude qualitative qui utilise la recherche bibliographique et documentaire comme principales procédures techniques, puisqu’elle s’appuie sur l’utilisation de sources théoriques, de la législation et de la jurisprudence du Japon. Les peuples autochtones du Japon bénéficient d’une protection spécifique limitée. La persistance des discriminations à l’encontre de ces groupes et le caractère limité des lois les concernant montrent que la lutte pour leurs droits doit se poursuivre.

Mots-clés : Aïnu ; droits des peuples autochtones ; lutte ; reconnaissance.

Summary : Indigenous peoples have lived and continue to live in difficult conditions, facing poverty, unemployment and, above all, the lack of respect for their human rights. Asia is the most populous continent in the world, and, like Africa, its population is extremely diverse. However, these countries are very reluctant to recognize and protect their indigenous peoples. Although some so-called democratic constitutions guarantee the protection of human rights, reality shows that there is still much room for improvement, as many of these rights are still neglected. Such is the case in Japan. The indigenous Ainu people represent a minority of the Japanese population and currently live in Hokkaido. It is therefore interesting to analyze the extent to which the rights of indigenous peoples are guaranteed in the Japanese system, and in particular the situation of the Aïnu. To achieve this goal, we will conduct a qualitative study utilizing bibliographic and documentary research as the primary methods. The study will also be based on theoretical sources, Japanese legislation, and case law. Indigenous peoples in Japan enjoy limited specific protection. The persistence of discrimination against these groups and the limited nature of the laws concerning them show that the fight for their rights must continue.

Keywords : Aïnu ; fight ; indigenous peoples’ rights; recognition.

Resumo : As populações indígenas viveram, e continuam a viver, em condições difíceis, sobrevivendo à pobreza, ao desemprego e, acima de tudo, à falta de respeito pelos seus direitos humanos. A Ásia é o continente mais populoso do mundo, e assim como o continente africano, apresenta grande heterogeneidade nacional. No entanto, os países asiáticos são relutantes em reconhecer e proteger as suas populações indígenas. Embora algumas constituições ditas democráticas garantam a proteção dos direitos humanos, a realidade mostra que ainda há muito a melhorar, pois muitos desses direitos continuam a ser negligenciados. É o caso do Japão. O povo indígena Aïnu representa uma minoria da população japonesa e vive atualmente em Hokkaido. Assim, é interessante analisar em que medida os direitos dos povos indígenas são garantidos no sistema japonês e, em particular, a situação dos Aïnu. Trata-se de um estudo qualitativo que utiliza como principais procedimentos técnicos a pesquisa bibliográfica e documental, uma vez que se baseia na utilização de fontes teóricas, na legislação japonesa e na jurisprudência do país.  Verifica-se que os povos indígenas no Japão gozam de uma proteção específica limitada. A persistência da discriminação contra esses grupos e o carácter limitado das leis que lhes dizem respeito demonstram que a luta pelos seus direitos deve continuar.

Palavras-chave : Aïnu ; direitos dos povos indígenas ; luta ;  reconhecimento.

Introduction

Le rapport « Notre avenir à tous », publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, soulignait déjà l’importance de protéger les droits des populations autochtones. En effet, il affirmait que «Les peuples autochtones sont les dépositaires d’un riche patrimoine de connaissances et d’expériences traditionnelles, qui rattache l’humanité à ses origines lointaines. Leur disparition serait une perte pour toute la société, qui aurait beaucoup à apprendre de leur savoir-faire (…).» (Nations Unies, 1987, p. 63). Le point de vue ethnocentrique qui prévalait auparavant commence donc à être confronté à une nouvelle dimension qui tend à reconnaître les peuples autochtones.

En effet, ces populations ont vécu et continuent à vivre de nos jours dans des conditions difficiles, se trouvant confrontées, notamment, à la pauvreté, au chômage, à la non protection du droit de propriété, et surtout, au non respect de leurs droits. Cette situation est corroborée par l’analyse de Yacoub (2004, p. 100) qui affirme que « Les puissances et les peuples dits « civilisés », ont semé le trouble et la confusion parmi les indigènes : ils ont bouleversé leur mode de vie, qui était adapté à leur milieu, et modifié ce milieu même. (…) L’autochtone est un être humain au même titre que le civilisé et il a droit à une forme de civilisation et à une personnalité propres ».         

En ce qui concerne l’Asie, il s’agit du continent le plus peuplé du monde, avec environ 4,3 milliards d’habitants (Nations Unies, 2024, p. 1). Comme l’indique Yacoub (2000, p. 66), l’Asie rivalise avec l’Afrique en termes de nombre d’ethnies, de langues, de religions et d’hétérogénéité nationale. Cependant, ces pays sont très réticents à reconnaître et à protéger leurs peuples indigènes. Bien que certaines constitutions dites démocratiques garantissent la protection des droits de l’homme, la réalité montre que la situation peut encore beaucoup évoluer, car nombre de ces droits sont encore négligés. C’est le cas au Japon.

Le Japon compte environ 125 millions d’habitants répartis sur quatre îles : Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu (Nations Unies, 2022, p. 1). Le peuple autochtone Aïnu représente une minorité de cette population et vit actuellement à Hokkaido, l’île la plus septentrionale de l’archipel japonais. L’un des fondements de la société Aïnu, bien défini par Watanabe (1975, p. 14), est la solidarité entre l’homme et la nature. Selon l’Association des Aïnu de Hokkaido (2024, p. 2), il y avait 16 786 Aïnu en 2013, vivant dans 66 villes.

À la lumière de ce qui précède, il est intéressant d’analyser la mesure dans laquelle les droits des peuples autochtones sont garantis dans le système japonais, et en particulier la situation des Aïnu. Il s’agit d’une étude qualitative qui utilise la recherche bibliographique et documentaire comme principales procédures techniques, puisqu’elle s’appuie sur l’utilisation de sources théoriques, de la législation et de la jurisprudence du Japon.  On constate que les peuples autochtones du Japon bénéficient d’une protection spécifique limitée (Errico, 2017, p. 41). La persistance des discriminations à l’encontre de ces groupes et le caractère limité des lois les concernant montrent que la lutte pour leurs droits doit se poursuivre.

  1. Le peuple Ainü et son histoire

Les Aïnu ont été observés en premier par des visiteurs européens au XVIIème siècle, comme l’italien Giroloma de Angelis qui arriva en 1602 au Japon pour évangéliser cette partie du monde (Schütte, 1952, p. 75). Les autres missionnaires jésuites, de retour en Europe au XVIIème siècle, attestèrent de l’existence d’un peuple sauvage au système pileux très développé soignant ses blessures avec du sel. A la fin du XVIIIème siècle, la mentalité européenne fut marquée par les récits de voyages emprunts de rousseauisme : les Aïnu étaient un nouvel exemple du «bon sauvage» (Jude, 2017, p. 3).

Cette conception idéaliste trouva son illustration dans une série de récits d’aventure écrits par Otfrid Von Hanstein (1921) «Unter dem Sonnenbanner», où de braves et courageux Aïnu accompagnent un chasseur espion allemand. L’image de ce peuple, noble, gentil et pacifique fut entretenue lors des différentes expositions, qui satisfirent la curiosité du grand public, telle que l’exposition universelle de Vienne en 1873 (Çelik, 1992, p. 18). Ainsi, des explorateurs, des universitaires, des ethnologues et des collectionneurs contribuèrent à dévoiler de nombreux aspects de la civilisation Aïnu.

Malgré leur importance, ces contributions rendent difficile une approche originale des Aïnu distincte de l’angle historique, linguistique, ethnologique. C’est grâce aux organisations internationales, comme l’Organisation international du travail qu’est apparue une piste présentant un caractère à la fois nouveau et actuel, qui sera suivie. La couverture internationale, ainsi accessible, est la raison pour laquelle l’Association Aïnu Utari (The Foundation for Aïnu culture) siège à l’Organisation des nations unies, au titre d’organisation non gouvernementale. C’est ainsi que l’on découvre que le Japon ne compte pas que des japonais d’origine, sur son territoire vivent des aborigènes en voie de disparition.

M. Giichi Nomura, ancien directeur exécutif de l’association Aïnu de Hokkaido, décrit son peuple en ces termes : «Nous, le peuple Aïnu, sommes le peuple indigène des régions du nord, qui a vécu traditionnellement dans les parties septentrionales de Honshu et Hokkaïdo (…). Nous avons notre propre religion et notre propre culture, qui se sont développées en harmonie avec la nature et nous avons vécu en chassant, pêchant et cueillant. «Aïnu» signifie «être humain» en langue Aïnu, notre langue maternelle. Elle est différente du japonais et le peuple Aïnu a construit sa culture sur ces fondements. On dit que nos ancêtres sont venus habiter ces régions à l’époque Jomon, soit il y a trois à quatre mille ans. Ils étaient considérés comme un peuple «étranger» des régions du nord, ce qui les distinguait des wajin (les japonais qui ne sont pas Aïnu) jusqu’à la restauration de Meiji en 1868 (…). Le peuple Aïnu commence  à nouer des relations avec les peuples des non Aïnu à la fin de l’ère de Kamakura (1192-1333)» (Nations unies, 1987, p. 15). Cette déclaration a été établie en 1987 et sert d’introduction au travail soumis à la cinquième session du Groupe de travail de l’ONU sur les populations aborigènes et tribales.

Le Moyen-Age Aïnu (Philippi, 1979, p. 16) voit se développer une entité culturelle homogène. On peut noter l’apparition du nom Ezo qui, jusqu’au XIXème siècle, désignera le peuple Aïnu et l’île d’Hokkaïdo (Ogier, 2019, p. 30). Cette entité va être menacée par l’arrivée des premiers colons japonais au cours de la première moitié du XVème siècle. En effet, attirés par les riches zones de pêche (saumon, baleine), le commerce de kombu (algue très prisée au Japon) et la recherche d’or, les japonais vont susciter des frictions avec les Aïnu. C’est ainsi qu’en 1456, le chef aïnu Koshamain confédéra la majeure partie des familles guerrières d’Hokkaïdo et organisa un soulèvement (Okada, 2012, p. 3). Ces rébellions vont se succéder jusqu’au milieu du XVIème siècle. Ce n’est qu’en 1551 qu’un traité de paix fut signé entre les Japonais et les Aïnu.

Le clan de notables, du nom de Matsumae établit son quartier général à la pointe sud-ouest d’Hokkaïdo et délimita son territoire. Les civils japonais n’étaient pas autorisés à résider sur le territoire Aïnu et aucun pouvoir politique n’était alors exercé sur ces peuples. Les Matsumae, par leurs droits commerciaux exclusifs sur les Aïnu, s’enrichirent dans leurs postes de commerce ou de pêche le long des côtes (Okada, 2012, p. 4). Le XVIIIème siècle marque le tournant de l’histoire du peuple Aïnu avec l’irréversible introduction du monde japonais et les modifications sociales, culturelles qu’elle a entraînées (Bukh, 2010, p. 36).

            Progressivement, tout le territoire de l’île passa sous le contrôle de l’empereur du Japon. Quels que fussent les changements économiques ou administratifs, les conditions de vie des Aïnu restaient difficiles (Watanabe, 1975, p. 20). Un système de recensement a permis de demander à ceux restés à l’intérieur du pays de venir travailler sur les côtes et ainsi fournir une main d’oeuvre supplémentaire. En 1717, un Bureau des affaires indigènes fut créé pour collecter des informations sur d’éventuels mouvements de révolte. Le dernier de ces mouvements se produisit en 1798. La bataille de Kunashiri Menashi (The Mainishi, 2023) se conclut par la mort de trente-sept chefs Aïnu capturés et scella définitivement le sort de ce peuple. Les japonais étaient alors les maîtres d’Hokkaïdo.

Après l’instauration de la domination japonaise, les Aïnu ont répondu à cet état de fait avec résignation et conservatisme. Si la période du Moyen-Age représente l’âge  d’or Aïnu, le XIXème siècle, quant à lui, va accélérer le déclin de la civilisation et de la culture Aïnu. Telle affirmation est illustrée par les chiffres de la population : au début du XIXème siècle, vingt-quatre mille Aïnu sont dénombrés à Hokkaïdo et à Sakhaline ; à la Restauration de Meiji en 1868, seulement quinze mille Aïnu (Okada, 2012, p. 5). Les causes de cette situation sont, entre autres, les maladies et les transferts de population. Les initiatives privées pour exploiter Hokkaïdo cédèrent la place aux initiatives gouvernementales et des colons japonais de plus en plus nombreux.

En 1869, après que le Japon a noué, enfin, des contacts avec l’Occident, l’état civil de Ezo fut changé et l’île, toujours sous la coupe du gouvernement central de Tokyo, fut rebaptisée Hokkaïdo, comme l’affirme Nanta (2006, p. 248) « Le gouvernement issu de la Restauration Meiji (1868) rebaptise ainsi l’île d’Ezo, marche du nord du Japon soumise  au  Shogunat  depuis  le  XVIIe  siècle,  tandis  que  débute  sa  colonisation systématique. »

L’amorce du décollage économique de cette époque revint aux paysans japonais, venus de contrées pauvres et surpeuplées. C’est grâce à eux que la culture d’espèces de riz peu sensible au froid a été implantée et qu’actuellement Hokkaïdo est le plus grand producteur de riz du Japon. Des bagnards, quant à eux, furent envoyés sur l’île pour assurer les travaux d’infrastructures routière, portuaire, ferroviaire.

2. De l’assimilation de la législation à la reconnaissance nationale et internationale

En ce qui concerne les Aïnu, les lois japonaises ont été ajoutées les unes après les autres, sans leur apporter de réelle amélioration sociale ou culturelle. Les premières lois japonaises consacrées aux Aïnu sont apparues au XIXe siècle. Elles illustrent la politique d’acculturation imposée aux Aïnu par le gouvernement de Tokyo (Bukh, 2010, p. 37).

En 1869, le Bureau de colonisation est créé et les noms des Aïnu sont inclus dans le registre de recensement, ce qui fait d’eux des Japonais en 1870. En 1871, la langue japonaise devient obligatoire et la pratique de la culture Aïnu est interdite (Siripala, 2020, p. 36). En 1877, les forêts et les terres non cultivées deviennent propriété de l’État. En 1883, un programme est lancé pour encourager les Aïnu à acquérir des terres.

Le 3 février 1899, la loi protégeant les anciens aborigènes d’Hokkaido est adoptée (Siripala, 2020, p. 37). Cependant, cette loi, qui aborde les thèmes de la terre, de l’agriculture, de la santé, de la scolarité, de l’octroi de subventions, et des sanctions juridiques, vise en priorité l’assimilation et l’acculturation des Aïnu sans se préoccuper aucunement de préserver leur culture (Siripala, 2020, p. 38), ce qui est confirmé par la progressive disparition de la pratique  de la langue et de la culture Aïnu.

La loi de 1899 confirme l’assujettissement des Aïnu au gouvernement japonais, qui souhaitait faire des Aïnu, des agriculteurs et non plus de pêcheurs. Ce qui est corroboré par le fait que cette loi n’affirme dans aucun de ces articles la prise en compte de leur état de pêcheurs. Egalement, elle retire des Aïnu leur droit à la propriété. Telles affirmations sont trouvées dans les articles 1 et 2 de cette loi, qui disposent : «Les aborigènes de Hokkaïdo, qui se consacreront ou voudront se consacrer à l’agriculture, se verront alloués, sans frais, une superficie par foyer ne dépassant pas 15000 tsubo. Article 2 : La terre allouée selon l’article 1 est sujette aux conditions suivantes : 1 – elle ne doit pas être transférée, sauf par succession (…)». Le droit à la terre passe ainsi aux mains exclusives des autorités gouvernementales et préfectorales.

Malgré la volonté de protéger les Aïnu, il est possible de vérifier que cette protection était, en fait, imprégnée d’ethnocentrisme et de paternalisme condescendant, ce qui nuit à une reconnaissance de l’autonomie et des particularités de toute minorité.

Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, c’est principalement l’intégration contrainte dans une société de plus en plus uniforme et égalitaire (symbolisée par de nombreux engagés Aïnu dans les bataillons japonais de la Deuxième Guerre Mondiale), accompagnée de la progressive disparition de la langue, qui peut caractériser le sort de ce peuple au tournant du XXème siècle (Maeda ; Okano, 2013, p. 47).

La loi de 1899 a été appliquée pendant plus d’un siècle, discriminant la population Aïnu pendant des générations, sans tenir compte du fait que la Constitution japonaise de 1947 garantissait le droit à la non-discrimination dans son article 14. Comme l’enseigne Yacoub (2000, p. 16) « les Etats asiatiques sont les plus réticents sur la scène internationale à reconnaître les droits des peuples autochtones ». Cependant, en établissant l’égalité, la Constitution japonaise de 1947 a permis aux Aïnu de lutter contre les discriminations et a rendu illégitime la politique d’assimilation établie par la loi de 1899.

Dans ces circonstances, en 1997 est publiée la loi n° 52, qui protège les Aïnu et met fin à la loi de 1899, la Loi sur la Promotion de la Culture Aïnou et la Diffusion et l’Éveil des Connaissances sur les Traditions Aïnou. Elle est le résultat de la lutte du peuple Aïnu et de ses défenseurs pour sa reconnaissance. Il est important de souligner que la loi de 1997 ne reprend pas le terme «autochtone» et garde le silence sur l’histoire de la discrimination et de l’oppression subies par les Aïnu (Stevens, 2005, p. 222). C’est ainsi que le principe d’indemnisation et de compensation pour les préjudices passés ne figure dans aucune disposition de la loi et la notion des droits autochtones, développées sur le plan international, est absente.

La protection de la terre, annoncée par le paragraphe 6 des «Principes et directives pour la protection du patrimoine des peuples autochtones», n’est pas prise en compte. Malgré le fait que ce paragraphe affirme que «la découverte, l’utilisation et l’enseignement des connaissances des peuples autochtones, de leur art et de leur culture sont inextricablement liés aux terres et territoires traditionnels de chaque peuple.», L’objectif du gouvernement était uniquement de promouvoir la culture Aïnu, sans inclure la pleine protection des droits de ce peuple en tant que peuple autochtone (Tsunemoto, 2019, p. 2).  Telles lacunes auraient pu être comblées si les législateurs japonais avaient pris en compte l’avis et la collaboration des délégués Aïnu. En effet, cette population s’organise de plus en plus pour lutter activement pour leurs droits et ne peut pas être tenue à l’écart.

Cette optique change un peu avec l’arrêt de la Cour de Sapporo (Préfecture d’Hokkaïdo) de mars 1997, contribuant, ainsi, à l’amélioration du statut des Aïnu (Stevens, 2005, p. 219). Il concernait l’affaire du barrage de Nibutani et il représente le premier texte officiel reconnaissant le statut de peuple autochtone : «Avant que notre gouvernement n’arrive sur l’île, les Aïnu habitaient Hokkaïdo et ils avaient leur propre culture. Les Aïnu subirent de lourdes attaques, tant sur le plan économique que sur le plan social, après que notre administration les a incorporés suite à une politique appliquée par nombre de nos administrateurs. Ils sont absolument conformes à la définition d’un peuple autochtone, étant donné qu’ils peuvent garder leur particularité au titre des populations.» Le tribunal de Sapporo s’est fondé sur des textes législatifs internationaux pour prendre sa décision (Stevens, 2005, p. 219).

Bien que ces progrès aient été constatés, en 2005, le rapporteur Stavenhagen (Nations Unies, 2005, p. 11) se rendit à Hokkaïdo et examina la situation des Aïnu. Il affirme que : « En Thaïlande, par exemple, l’enseignement n’est dispensé qu’aux élèves qui ont la nationalité thaïlandaise, ce qui exclut de nombreux enfants appartenant à des minorités et des peuples autochtones immigrés, et les langues autochtones ne sont parlées à l’école. De cette façon, l’accès des autochtones à l’éducation est entravé, ce qui a des conséquences pour la vie sociale et économique. De la même manière, le système d’enseignement japonais ne reconnaît pas et n’encourage pas l’histoire, la langue et la culture du groupe autochtone des Aïnu, premiers habitants d’Hokkaïdo, alors que la loi reconnaît l’importance de la culture Aïnu dans le patrimoine du Japon.»

Malgré les lacunes de la loi de 1997 et les carences constatés par le rapporteur des Nations Unies, le mouvement progressif vers une reconnaissance des Aïnu a conduit le Japon à ratifier, en 2008, la Déclaration des droits des peuples autochtones proclamée par l’ONU en 2007. Cette Déclaration a été adoptée par l’Assemblée Générale le 13 septembre 2007 et prend en compte, d’une manière innovante l’expression de besoins des peuples autochtones. C’est ainsi que l’on peut constater la présence du droit d’être autonome, et surtout, le droit à un consentement préalable libre et éclairé, ce qui dénote que l’avis de ces peuples devient prioritaire.

L’implication du Japon dans les démarches internationales se vérifie par sa signature d’autres Conventions pertinentes pour les peuples autochtones. Il s’agit de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 et la Convention sur les droits de l’enfant de 1989. C’est ainsi que le Japon a adopté de nouvelles résolutions pour établir des mesures de protection et de reconnaissance des Aïnu.

En 2019 a été promulgué la Loi de Promotion de la Politique Aïnu, qui a reconnu les Aïnu comme peuple autochtone du Japon et a accordé des subventions gouvernementales pour le développement communautaire et touristique centré sur la culture Aïnu. Cependant, comme l’affirme Gayman (2024, p. 1) « l’accent limité mis par la loi sur le tourisme culturel n’a pas été suffisant pour compenser les pertes économiques et culturelles subies par les Aïnu à cause des politiques de colonisation et d’assimilation. La politique actuelle n’a ni donné de pouvoir à la communauté Aïnu ni incité le gouvernement japonais à plaider en faveur de politiques accordant des droits plus substantiels aux Aïnu. »

En effet, les Aïnu ont toujours été privés de leurs droits fonciers et continuent de l’être, malgré le fait que de nombreux instruments internationaux auxquels le Japon est un État partie l’obligent à respecter les droits de ces personnes, comme le confirme le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Nations unies, 2018, p. 2). Dans ce contexte, dans le Rapport présenté le 26 septembre 2018, le Comité a souligné sa préoccupation quant à la persistance de la discrimination à l’égard des Aïnu en matière d’emploi, d’éducation et d’accès aux services publics, tout en soulignant que, malgré les efforts déployés par le gouvernement japonais, les droits à la terre et aux ressources naturelles ainsi que le patrimoine linguistique et culturel du peuple Aïnu ne sont pas suffisamment protégés (Nations unies, 2018, p. 4).

Dans la même veine, le rapport présenté le 30 novembre 2022 par le Comité des droits de l’homme (Nations Unies, 2022, p. 13), qui souligne que le Japon devrait prendre des mesures supplémentaires pour garantir pleinement les droits des communautés Aïnu et Ryukyuense et des autres communautés d’Okinawa à leurs terres traditionnelles et à leurs ressources naturelles, en assurant le respect de leur droit à participer librement à la prise de décision sur toute politique qui les concerne.

Conclusion

Les Aïnu sont les premiers habitants d’Hokkaido, mais depuis l’arrivée des colonisateurs, ils ont été dépouillés de leurs terres et privés de la pratique de leurs rituels. Quatre siècles plus tard, la situation évolue peu à peu, une lenteur qui pourrait s’avérer fatale. Il est donc nécessaire que les instances internationales poursuivent leur action protectrice pour que les Etats changent leur politique à l’égard de ces peuples autochtones.

Les recommandations des Comités des Nations Unies montrent que le chemin à parcourir est encore long. L’État japonais s’est montré réticent à signer plusieurs textes internationaux, par exemple le premier et le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que le protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le pays n’a pas non plus signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ce qui représente un recul en matière de droits de l’homme.

Il est possible ainsi de s’interroger sur l’absence de ce pays dans plusieurs textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. La recommandation du CERD pour que le Japon reconnaisse et protège les droits fonciers des Aïnu est essentielle pour la survie de cette minorité. En effet, même pour un peuple de pêcheurs, la terre a une valeur symbolique et spirituelle qui n’est pas compatible avec la vision colonialiste. Il est contradictoire qu’un pays aussi développé économiquement que le Japon soit à ce point en décalage avec les droits des peuples autochtones. La croissance économique doit aller de pair avec la protection et la garantie des droits des peuples autochtones, afin que cette croissance soit durable.

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[1]Doutora em Direitos Humanos pela Universidad de Valencia. Universidad de Valencia. http://orcid.org/0000-0002-2942-3803. germanabader@gmail.com

[2] Mestra em Direitos Humanos pela Universidade de Lisboa. Instituto Federal de Educação, Ciência e Tecnologia de São Paulo. http://lattes.cnpq.br/5335616884355495. Mariliaarn@gmail.com

[3] Mestrado em Direitos Humanos. Université Catholique de Lyon. M.ninel@wanadoo.fr.